La femme vue
par les surréalistes : l’exemple de Max Ernst
Max Ernst, le rendez vous des amis, 1922
Max Ernst
a été le précurseur de toutes les techniques picturales du surréalisme. Il a
ouvert la voie aux autres peintres du groupe qui exploiteront à sa
suite le principe du collage alliant le rêve à la réalité, ainsi que le
frottage avec son pouvoir hallucinatoire.
Il a su jouer du hasard et du geste conscient, et ceci dans le
choix délibéré de ses outils : tantôt il gratte, frotte, il fait couler sa
peinture, tantôt il utilise le compas et la règle pour donner une structure et
un sens à son dessin.
La femme désir
Chez Max Ernst le désir
accède à une dimension poétique, métaphysique, dans un univers fait de bêtes,
d'insectes bizarres, d'oiseaux.
Dans "La toilette de la mariée" 1939, huile sur bois (96x130) on voit
que la mariée est tour à tour une femme portant un vêtement de fourrure et une
tête d'aigle, une femme nue dont la chevelure en éventail rappelle un aile
d'oiseau et enfin, en bas à droite, un hermaphrodite à quatre seins et
enceinte. La femme est donc représentée dans tous ses états possibles et le
désir est à la fois un désir animal et un désir qui suscite le mystère,
l'amour, la jalousie. La femme du désir est une femme inatteignable, une
"reine de la nuit".
La femme et l'univers
"Le jardin de la France", 1962, huile sur bois (144x168) réunit tous
les concepts de la femme dans le surréalisme : on y voit tour à tour la femme
dans l'histoire de la peinture, la femme désir et les relations de la femme
avec l'univers.
Cette fois, le corps
de la femme apparaît distinctement, il s'agit d'une femme nue que Max Ernst a
reprise d'un tableau de Cabanel (1764). En la mettant dans un contexte
différent il lui donne une autre dimension.
Alors que Cabanel la faisait flotter dans les airs entourée d'anges, Max Ernst
l'enfuit dans les sédiments terrestres ! Il semble enterrer l'histoire du nu et
de ce tableau pompier dans le sol pour en faire émerger une autre vision de la
femme. Elle devient comme la peau du monde, la fertilité du sol, la carte de la
France puisque les deux fleuves sont nommés "La Loire " et
l'Indre". Max Ernst oppose à la qualité presque photographique du nu la
qualité plus picturale et inachevée du sol. Sans doute pour montrer que l'image
poétique de la femme est plus inscrite dans ce jardin de France où tout pousse
et tout fleurit que dans la représentation trop froide du nu.
Cette femme dont on ne voit qu'un corps morcelé, sans visage est en même temps
une représentation du désir, centré sur le sexe, les jambes et un des seins. Ce
nu qui avait presque une dimension divine dans le tableau de Cabanel, devient
réel et érotique à cause du bas noir rajouté volontairement. C'est donc une
peinture pleine d'humour qui révèle bien les préoccupations de Max Ernst, où on
retrouve le principe du collage, qui consiste à dénaturer quelque chose pour
lui donner un autre sens. C'est Breton qui avait défini ainsi l'image
surréaliste : "Pour moi la plus forte est celle qui présente le degré
arbitraire le plus élevé...celle qu'on met le plus longtemps à traduire en
langage pratique, soit qu'elle recèle une dose énorme de contradiction
apparente, soir que l'un de ses termes en soit curieusement dérobé, soir
s'annonçant sensationnelle elle a l'air de dénouer faiblement ...soit qu'elle
déchaîne le rire" (Manifeste du surréalisme, 1924, p.50)
La femme machine
Max Ernst s'est beaucoup intéressé aux préoccupations de Duchamp qui voulait
exprimer les relations de l'homme avec la machine, avec cette société
d'industrialisation et de mécanisation.
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Dans
"La femme chancelante", 1923, huile sur toile (130,5x97,5) on voit une femme, cheveux hérissé, en équilibre
précaire, dont le corps penche vers la gauche du tableau. Max Ernst s'est
inspiré pour la machine d'une invention du 19° siècle qui "égalisait les
vagues par gros temps".
Ici la femme est prisonnière de la machine, le corps de la danseuse est
confronté au corps de la machine. De même que les cheveux de la femme sont figés
comme par miracle, les jets d'huile de la machine deviennent solides, on assiste
à une pétrification. Il n'y a plus de haut ni de bas, les contraires se
rejoignent, comme dans la théorie du surréalisme définie par Breton: "Je
crois à la résolution future de ces deux états, en apparence contradictoires,
que sont le rêve et la réalité, en une sorte de réalité absolue, de
surréalité..." (Manifeste p.24)
La femme n'est plus en harmonie totale avec la nature, elle est devenue une
créature froide et figée. C'est la machine qui semble prendre le contrôle de
son corps, supposé agile au départ, puisque Max Ernst a choisi de représenter
une danseuse. Pour dénoncer l'influence néfaste du machinisme sur le corps
humain ?
Les surréalistes ont réussi à créer un nouveau regard sur la
peinture mais aussi sur la femme.
La femme qui a joué un rôle important dans l'histoire de l'art et de la
peinture, comme muse, comme modèle, voit ici son image bousculée, à la fois
ridiculisée et magnifiée.
Elle est plus qu'un modèle, elle fait partie de leur vie, de leur inconscient,
de leurs pulsions profondes, elle se métamorphose réellement jusqu'à devenir
mi-ange, mi-démon, elle est celle qui mêle les tendances extrêmes, le désir
animal et la spiritualité.